Vivre au quotidien avec Gitan

Gitan

Gitan, cheval avec un traumatisme très avancé que l’on vous avait présenté il y a quelques mois, vivait chez Sandra. En effet, ce petit cheval ne pouvait pas venir sur notre structure d’accueil, trop dangereux pour nos bénévoles. 
Sandra vous explique son quotidien avec Gitan : 
« Il y a quelques semaines, j’ai eu un appel d’une personne qui souhaitait nous confier un animal avec un traumatisme, certes différent de Gitan, mais tout aussi profond. J’ai dû refuser; il est impossible d’introduire un tel animal dans le troupeau et mettre en danger les bénévoles, je n’ai pas non plus la place pour un deuxième cas.
Cet appel m’a beaucoup perturbé.
J’espère, par ce témoignage permettre à certains et certaines une prise de conscience : on ne se réveille pas du jour au lendemain, sauveteur d’équidés.
Même avec une structure et des compétences rien n’est jamais gagné.
Bien sûr, au premier abord, un cheval est un herbivore et une proie, donc inoffensif, des chevaux comme Gitan sont loin d’être inoffensifs. Au premier regard, Gitan paraît un cheval ordinaire, presque Bonaire : il n’en est rien. Nous frôlons les incidents avec des personnes étrangères qui ont du mal à prendre conscience qu’il est dangereux de s’approcher de son territoire.

Je ne referais pas l’histoire de Gitan, la plupart d’entre vous l’ont lu ou peuvent la lire sur notre page Facebook ou notre site, je reviendrai sur des détails que je n’avais à ce jour jamais mentionné. (pour la relire, suivez le lien ci dessous : L’histoire de Gitan).

Bientôt un an et demi que ce petit cheval vit avec nous. Joie, espoir, peur font partie de notre quotidien. Mon mari ne fut pas étonné quand je lui ai fait la demande de prendre Gitan sous ma coupe à peine quinze jours après son arrivée, une première approche avait déjà été faite (m’imposer à lui dans son box). Au début, jamais je ne lui tourné le dos pour le rentrer et le sortir et un jour, j’ai dit : « stop, si je veux que ce cheval me fasse confiance, c’est à moi en tant qu’humain de faire le premier pas » et j’ai commencé à le sortir comme tous les autres, normalement, sans lui faire face. Je restais sur mes gardes, malgré tout. Un climat de confiance s’est instauré, je pouvais lui retirer son licol sans problème et lui le remettre sans qu’il ait de réaction agressive. Pour la nourriture, même s’il mangeait à sa faim, il fallait faire attention dés qu’il voyait le seau de ration ou le foin arriver, il redevenait agressif prêt à mordre, chose parfaitement normale après des années à avoir connu la faim. Aujourd’hui, il n’est plus agressif, il aura fallu quasiment un an pour que ses réactions lui passent, pour qu’il s’apaise. Au fil du temps comme je l’ai expliqué dans son histoire, nous sommes devenus très complices, pas contre, je n’avais pas prévu de rentrer avec lui dans un schéma d’exclusivité, cette situation est lourde et compliquée à vivre. Je vous expliquerai pourquoi.
Je fais à peu près tout ce que je veux avec lui, sauf les soins et les vermifuges, ça reste un cauchemar. Pour sa castration, nous avons dû le faire ici, quand je l’ai fait rentrer dans son box et qu’il m’a vu mettre la longe dans l’anneau, son agressivité est revenu. Notre vétérinaire devait lui faire des injections, j‘ai dû me mettre au niveau de sa tête, faire un bouclier pour que notre vétérinaire puisse agir. Quand Gitan a senti l’aiguille, il s’est retourné, c’est mon visage que ses dents ont rencontré en une fraction de secondes et sans avoir le temps de réagir, je me suis dit « il va me défigurer » mais rien, quand ses dents sont rentrées en contact avec mon visage, il a refermé sa mâchoire pour ne pas me mordre. Bien sûr, j’ai eu peur, mais je suis restée de marbre le caressant comme si de rien n’était, c’est dur de se contrôler de ne pas montrer sa peur.
À la vue de près ou de loin à ce qui ressemble à une seringue même aujourd’hui, il réagit mal, je ne peux donc le vermifuger normalement, il faut ruser et le lui mettre dans sa ration avec de l’huile pour camoufler l’odeur ! S’il devait être malade, il sera compliqué de le soigner.
L’été dernier Gitan a agressé mon aîné, ce dernier, plein de bonnes intentions voulait lui remplir son bac d’eau, il est rentré dans son paddock, donc sur le territoire de Gitan. Il s’est jeté sur lui, l’a mît à terre et lui a fait riper les dents sur le torse. Plus de peur que de mal.
Je suis parfaitement consciente que si Gitan n’avait pas évolué dans son trauma, il aurait sans doute tué mon fils.
Suite à cet accident bien sûr qu’il y a eu remise en question sur ce cheval, devais-je continuer l’aventure ? Je n’arrivais pas à me résoudre à le faire euthanasier, nous avons donc continué l’histoire.


Cet hiver alors que j’étais avec lui pour une séance câlin dans son paddock, mon mari faisait quelques rangements à proximité, tout naturellement, on s’est mis à discuté, Gitan comprenant que je n’étais plus totalement avec lui, de rage m’a arraché mon bonnet. Encore une fois, je n’ai pas eu le temps de réagir, j’ai juste senti ses dents ripées sur mon visage, il ne m’a pas mordu. Des anecdotes de ce genre, il y en a un certain nombre
Quand il me voit travailler des chevaux dans la carrière, je vais faire un peu d’anthropomorphisme, car je ne sais comment le décrire autrement, il me fait la tête, et quand je l’appelle, il se tourne de manière à me montrer ses fesses, bien sûr cette attitude fait rire, au début oui, mais avec le temps ça ne fait plus rire du tout. 
Gitan attire les curiosités, chose que je peux comprendre, mais là aussi un certain nombre de petits incidents heureusement sans gravité. Quelques personnes privilégiées arrivent à l’effleurer, dès que je suis là avec ces mêmes personnes Gitan leur arracherait la tête. Pourquoi ? Même castré, il reste entier dans sa tête et je suis pour lui « sa propriété », il y a donc un conflit qui se génère, je dirai même de la jalousie. Encore une fois, je fais de l’anthropomorphisme, car je n’ai que des mots humains pour décrire ses réactions. Nous sommes comme je le disais dans les lignes au-dessus, dans un schéma ou en effet, je lui appartiens et il réagit en conséquence. Même mon mari doit faire attention quand je suis à proximité de Gitan.

Des remises en question, il y en a chaque jours. Je suis très attachée à ce petit cheval, et même s’il est la propriété de notre association, je l’ai pris sous ma protection et comme tout animal qu’on prend en charge, on pourvoit à son bien-être, même si c’est compliqué, il faut assumer.
J’ai un petit garçon et en moi une peur terrible que mon fils se mette en tête de vouloir faire comme maman et de rentrer dans le paddock de Gitan pour le caresser.  Mon fils est conscient du trauma de ce cheval, mais il est casse-cou et sans peur comme beaucoup de petits garçons.

Je vous avouerai aussi que sa présence sur notre structure me cause quelques préjudices, mais je fais avec. Un exemple, des propriétaires de chevaux intéressés pour mettre leurs équidés en pension prennent peur de Gitan, je suis bien obligée d’expliquer qu’en aucun cas, ils ne doivent s’approcher de lui et leur fait une démonstration.
Quand parfois, on me dit que ce que je vis avec Gitan est magique… J’ai beau tourner dans tous les sens, je ne trouve rien de magique, bien sûr c’est une histoire hors du commun et j’espère ne plus jamais en vivre comme celle-ci. Je suis consciente que je suis privilégiée, mais la complexité de cette relation fusionnelle reste troublante, dérangeante.
Je suis incapable de répondre à la question que certains/certaines se posent.
Comment ai-je réussi avec ce cheval ? Je ne sais pas.  Je pense que les compétences apportent peut-être un minimum d’aide, mais face à des traumas aussi importants, nous ne sommes pas formés pour ça, l’observation, un brin de chance et du temps. L’important, c’est qu’aujourd’hui Gitan a une vie normale même si ça complique la mienne, j’ai appris à faire avec.

Voilà en quelques lignes ce qu’est la vie au quotidien avec un tel animal.

Des cas comme Gitan, il y en a peu, mais il y en a déjà trop. S’il vous arrive de croiser un tel animal réfléchissez bien avant de tout faire pour le sauver.  Prenez conscience que votre vie et celle de votre entourage va irrémédiablement changer et que rien n’est jamais gagné. Au début, j’ai été assez candide pour croire que je pourrais lui laisser finir sa vie au pré avec mes chevaux, aujourd’hui cette idée est inconcevable, irréalisable et trop dangereuse. Trop de promeneurs se permettent de rentrer dans nos prés pour caresser les chevaux même s’ils sont en tort, car on ne rentre pas dans les propriétés privées même pour caresser des chevaux. Si Gitan devait agresser qui que ce soit je n’aurai pas d’autre choix que de le faire euthanasier, c’est un risque que je ne prendrai pas. Encore une fois, je mets en garde les cœurs vaillants au sauvetage d’équidés, vivre avec un tel animal chez soi reste dangereux pour nos proches, toutes les personnes qui nous côtoient, c’est une surveillance permanente.

À l’heure où j’écrivais ce témoignage, notre Gitan était encore parmi nous.
A l’heure où je vous le diffuse, il nous a quitté.

Gitan, petit cheval de l’association marquera à jamais ma mémoire et notre histoire, au fer rouge dans mon cœur.

Ce témoignage se transforme en adieux.

Sandra Haÿs